Sobriété immobilière et solidaire,
Dynamisons les parcours résidentiels pour agir sur la crise du logement

Il est toujours bon de le rappeler : le secteur du bâtiment est responsable de près de la moitié de la consommation d’énergie et d’un quart des émissions de gaz à effet de serre en France. Si le « verdissement » de l’activité est en cours avec, comme dans tous les secteurs, des engagements sincères, des projets remarquables porteurs de réels impacts mais aussi encore beaucoup trop de discours marketing dévoilant en creux la résistance de l’ancien monde de l’immobilier. Cette transformation nous semble trop lente et surtout fait l’impasse sur une question majeure : l’évolution des modes de vie et les aspirations contrariées de celles et ceux qui vivent dans ces logements dans un contexte de crise sociale montante. Y répondre pourrait aider à s’engager sur la voie d’une sobriété immobilière devenue nécessaire.

Une enquête IPSOS pour RTE de mai 2023 révèle que 30% des ménages soit, 9 millions de ménages et représentant près de 20 millions de personnes envisagent de déménager pour aller vers un logement plus petit et faire ainsi des économies (argument principal cité par 50% des répondants) devenues pour beaucoup nécessaires ou se simplifier l’entretien d’un logement devenu trop grand.  La  mobilité résidentielle permettant de changer de logement avec les évolutions de la vie de chacun est une attente majeure.

Cette attente est aujourd’hui bloquée, ils se retrouvent assignés à résidence, piégés par un système qui, dopé depuis plusieurs décennies aux taux d’intérêt bas et aides gouvernementales multiples, a engendré une flambée des prix de l’immobilier. Si un grand nombre a vu sa richesse immobilière s’accroitre, l’accès à la propriété des Français les moins aisés a aussi fortement baissé et le marché locatif est à son tour touché. La « mobilité résidentielle » est aujourd’hui grippée entrainée par la chute du marché de la construction neuve affaiblie par la montée des taux d’intérêt et l’explosion des coûts de matières. Le spectre des années noires de 1990 et 2008 ressurgit tandis que certains prédisent une cure de sobriété immobilière forcée pour les plus jeunes et les moins argentés  pour la décennie à venir.C’est le moment de penser juste pour réinventer le modèle !

Penser juste, c’est prendre conscience que le parc de logement est aujourd’hui peu occupé. Si des actions commencent à porter sur les 6 millions de  logements vacants et de résidences secondaires, la faible occupation des 30 millions de résidences principales est aujourd’hui très peu considérée. Même dans les zones tendues :  les 2/3 de celles-ci sont occupées par seulement une ou deux personnes et le vieillissement de la population va encore accentuer ce phénomène. Mais le logement  est une zone de contraste : 8,9 millions de logements peu occupés comportent au moins 3 pièces de plus que de personnes quand 1,5 millions de logements suroccupés comportent moins de pièces que de personnes. Ainsi, faciliter cette envie de déménager pour plus petit de ceux qui le souhaitent permettrait aux Français qui ont envie de plus grand notamment car leur famille s’est élargie d’accéder à cette envie sans forcément construire.

Mais les freins sont nombreux à cette sobriété, le locataire d’un grand logement qu’il occupe depuis de nombreuses années verra généralement son loyer monter s’il déménage même pour un logement plus petit,  le propriétaire qui revend son grand logement pour un plus petit sera taxé lors de ce changement.

Alors, si le défi était d’aider à fluidifier les parcours résidentiels pour mieux occuper ce parc important dans lequel nous avons tant investi ces dernières années plutôt que de continuer à investir tous azimuts dans une pierre de plus en plus couteuse pour la planète et de moins en moins occupée.  Nous pensons qu’il est grand temps de faire bouger les règles fiscales, urbanistiques et techniques qui freinent ces nouveaux usages qui sont une des réponses possibles aux enjeux climatiques de la filière.

Nous appelons à des politiques du logement qui portent massivement sur la fluidification des parcours résidentiels par un allègement des règles de droits de mutation, d’imposition des logements en fonction de leur impact écologique et de la surface par personne, qui privilégient l’occupation pleine à l’occupation temporaire, qui facilitent la transformation de bureaux en logements. Le mouvement est déjà en cours avec des initiatives diverses comme les bourses de logements dans le parc privé comme en social, la transformation de grands logements en colocations étudiantes, la réinvention des logements vacants, les règles sur les meublés touristiques …

Nous invitons les acteurs de la filière à innover pour imaginer des espaces de vie qui s’adaptent aux évolutions des besoins par un design intelligent et évolutif, brassant les générations dans un pays à la démographie vieillissante où l’on sait que le bien-vieillir repose sur la qualité des liens et des relations, et favorisant la mutualisation des usages propices à récréer de nouvelles solidarités.

Les acteurs de l’immobilier ont la responsabilité collective de se remettre en cause. L’impulsion produite par le CNR Logement est certainement encourageante. Il faut aller plus loin, en engageant de manière concrète les parties prenantes pour débloquer le système du logement en se projetant dans un nouveau modèle vertueux, accélérateur de la transition environnementale. Enfin, ceci ne pourra se faire qu’en tenant compte de la spécificité de chaque territoire ; ce qui suppose d’installer une gouvernance décentralisée, donnant aux élus locaux une capacité d’ajuster la règle générale.

SIGNATAIRES

Joachim Azan, président Novaxia

Fabrice Bonnifet, directeur développement durable & qualité, sécurité, environnement groupe Bouygues

Cédric Borel, directeur général A4MT 

Meka Brunel, présidente de l’université de la ville de demain

Jean Carassus, professeur à l’école des Ponts ParisTech

Christian Cléret, co-président groupe RBR-T

Bertrand De Feydeau, président de la fondation Palladio

Pierre Ducret, directeur de l’institut Palladio

Jean Pierre Duport, ancien directeur de l’architecture et de l’urbanisme 

Sébastien Duprat, directeur général Cycle UP

David Ernest, maire-adjoint à l’urbanisme de Chaville

Julien Eymeri, associé co-fondateur de Quartier Libre

Pauline Koch, CEO Sitowie

Pierre Madec, économiste  OFCE Sciences Po

Alain Maugard, président EUROPAN

Raphaël Ménard, architecte et ingénieur

Marjolaine Meynier-Millefert, députée de la 10ème circonscription de l’Isère

Laurent Morel, président de l’Institut Français pour la Performance du Bâtiment

Ingrid Nappi, économiste, professeur de l’école des Ponts et titulaire de la chaire économie de la transition écologique urbaine 

Matthias Navarro, co-fondateur et CEO de Redmam

Thierry Paquot, philosophe de l’urbain

Philippe Pelletier président du Plan bâtiment durable, et du directoire de la fédération Habitat et Humanisme

Benoit Quignon, président Benoit Quignon Conseil

Laurent Rossez, directeur général adjoint AIA Life Designers

Bernard Roth , senior advisor IEIF

Jean-Christophe Visier, co-président groupe RBR-T